Entrez dans la légende DEPE

« Allez, l’OM allez ! Du virage Depé s’élèvera la ferveur du peuple marseillais! ».
Patrice de Peretti a été et demeure le plus emblématique des supporters de l’Olympique de Marseille.
Quinze ans jour pour jour après son décès, le 28 juillet 2000, Depé symbolise toujours la passion phocéenne, à tel point que le virage Nord du Vélodrome porte son nom. Comme une évidence.


 Plongée dans l’univers du capo le plus célèbre et le plus charismatique de l’histoire du football français.
le supportérisme peut également revêtir un aspect social, un lien qui dépasse largement le cadre du football.
On ne devient pas une icône, un mythe, sans avoir marqué durablement les esprits.
Depé, c’était avant tout une dégaine. Un mastoc cheveu long, pantalons informes, chaussures trouées et t-shirt pourri.
Mais surtout, Depé, c’était une voix. Eraillée et envoûtante. Capo en chef des South Winners, groupe fondé par Rachid en 1987 dans le quartier de la Belle de Mai, Patrice de Peretti met le oaï au mégaphone et fait lever les foules.
Jacky, patron du bar de La Plaine et membre fondateur des MTP, se remémore : « Je l’ai découvert en 1989.

 J’ai vu passer un gars complètement fou-fou, plein d’énergie, très déterminé, avec une passion. Je l’ai pris pour un fada ! ».
A l’époque, Bernard Tapie a jeté son dévolu sur l’OM et s’imagine déjà sur le toit de l’Europe.
La place de plus en plus importante qu’il attribue aux groupes de supporters lui garantit aussi une ambiance de feu.
C’est aussi la période où le Vel’ est peuplé de Doc Martins
Se faire respecter est une obligation et il est souvent nécessaire d’aller à la marave face aux skins locaux.

« Il faut se remettre 25 ans, pointe Gari Greu de la Massilia Sound System.
Les premiers galons de Depé, c’est d’avoir fait le ménage dans le virage qui était gangrené par de sales idées ». 
Fort de ces « succès », Depé gagne en popularité, à tel point que son aura dépasse le simple cadre du football.Ce qui distingue Depé parmi toutes les figures emblématiques de l’OM, c’est sa ferveur. Immodérée, extrême.


 


Il peut cavaler des heures dans tous les quartiers de la ville pour recruter de nouveaux membres, prêts à assouvir avec lui sa passion pour l’OM.

 Fasciné par les supporters de l’AEK Athènes qui avaient saccagé Marseille en 1989 alors qu’ils n’étaient venus qu’à 50, il opte à leur image un look improbable: mégaphone, écharpe autour du cou et torse nu. « Boulevard Michelet, le bus des Grecs était plein, resitue Brahim Boutelis dit « Bra », membre fondateur des MTP. Le premier qui sort, c’est un grand rouquin, avec la barbe et les cheveux rouge, torse nu et… une hache à la ceinture ! Quand Depé a vu ça, il a halluciné ! ». Il passe à la postérité un soir de 1992 à Berlin lors d’un match face au Spartak Moscou où il harangue la tribune dans son costume de soirée par un léger -12°.
Il devient tellement connu et influent que Tapie lui offre sa médaille lors des agapes fêtant la victoire en Ligue des Champions en 1993.
Torse nu, cheveux courts, heureux comme un gamin, il soulève le trophée, danse frénétiquement, tandis que le Boss le félicite de sa dévotion pour le club. A seulement 21 ans, Depé est le symbole des supporters olympiens, de l’OM, de Marseille.
Depé devient  un salarié de l’OM même si son statut exact n’est pas clairement établi, un peu à l’image de sa vie. Quand il n’a pas de collègue chez qui crécher, il dort à la belle étoile… dans les gradins du Vélodrome, son spot favori pour assister au lever du soleil. « Un soir, on finit ensemble et il me dit « je t’amène chez moi », se rappelle Gari Greu. C’était au premier local des Winners, dans une petite ruelle. Il dormait dans la bâche, entre deux fauteuils. Ce jour-là, je me suis dit que c’était pas juste un supporter comme il y en a 50 qui sont à fond mais ça ne va pas bien loin.
Depé, quand il n’y avait plus 50.000 personnes autour, qu’on parlait un peu à voix basse, il prenait une sorte de dimension que tu ne pouvais connaître que si tu le fréquentais un peu de près. C’était profond. C’était sa vie. Il faisait peur presque. Il s’est accroché à l’OM pour donner un sens à sa vie. »
Au petit jeu de la manipulation, on ne sait pas réellement qui s’est servi de qui. D’un côté, Tapie profitait de la verve de Depé pour mettre la pression sur certains joueurs les lendemains de défaite et rappeler qu’à Marseille plus qu’ailleurs, mouiller le maillot est un sacerdoce.
De l’autre, Depé avait également su tirer profit de l’intérêt de l’omnipotent président puisqu’il pouvait ainsi vivre au maximum au plus près des joueurs et, à l’occasion, permettre à ses amis de devenir également des salariés du club. Une de ses spécialités est de débarquer aux réunions de l’OM, quand de nouveaux dirigeants veulent augmenter le prix des abonnements : « Il voulait que l’OM reste accessible, même au plus petits portefeuilles », affirme Anton Coste.


 


La victoire olympienne en 1993 marque le début d’une nouvelle aventure pour Depé. Lui qui souhaiterait avoir davantage de responsabilités au sein des Winners se voit répondre qu’il est tout de même compliqué de bosser avec un type capable d’oublier la recette d’un déplacement sur un siège de métro. « Un jour, il m’a dit qu’il partait des Winners, se remémore Bra. Il ne s’entendait plus. Je lui ai demandé ce qu’il allait faire. Il m’a répondu qu’il voulait monter son groupe. On lui a dit qu’on était avec lui. » Alors à 22 berges, il fait ses valises en compagnie de ses amis de toujours du quartier de La Plaine, prend Bob Marley comme étendard et crée « son » groupe: les MTP pour Marseille Trop Puissant. Il a beau être une figure connue du Vélodrome, Depé se retrouve isolé. Il demande alors de l’aide à son ami Christian Cataldo, président-fondateur des Dodger’s : « Il m’a dit :  » il faut que tu me rendes service. Je veux monter mon groupe de supporters mais je n’ai pas de place au stade. Personne ne veut de moi mais quoi qu’il arrive je serai un jour dans ce stade ». Notre projet, c’était de faire un Virage Nord au moins équivalent au Sud.  » Depé a de l’ambition mais il n’est pas accueilli à bras ouverts, certains se méfiant du « transfert ». Malgré tout, les MTP s’installent en quart de virage. « L’ambiance me plaisait, se souvient Jacky Amamra. Il réunissait tout une tribu, qui sautait, qui chantait, qui portait le mégaphone à fond, à fond, à fond. C’était incroyable ! ».


Et si l’affaire OM/VA plombe les Phocéens sportivement, elle tombe en revanche à pic pour les MTP et pour Depé qui retrouve le feu sacré. Son emploi du temps consiste à arpenter les rues marseillaises tout au long de la semaine pour trouver de nouveaux membres pour animer le groupe et faire des déplacements. Une légende fait état d’un trajet à 18 dans un Peugeot J9 délabré ! Ceux qui n’ont pas les moyens sont même embarqués gratos : « Il te prenait la tête, en rit encore Cécile fondatrice de la section « Cagoles » des MTP. Il ne te lâchait pas tant que tu ne montais pas dans le car et que tu ne partais pas avec lui ! » Les virées dans la France de la Division 2 sont épiques comme lors d’un déplacement à Epinal. Alors que la joyeuse bande fait trempette dans la fontaine municipale, les employés de la ville tente de déloger tout ce beau monde en vidant du détergent dans l’eau. Pas effrayé, Depé prend un malin plaisir à s’en enduire le corps. Dans les tribunes, Depé est égal à lui-même : vociférant, haranguant, inventant des mots. Pourtant, la ferveur affichée par le leader charismatique s’estompe petit à petit.

L’arrivée de Robert Louis-Dreyfus à la présidence marque le début de la fin pour Depé.
Les maillots dorés pour célébrer le centenaire en 1999, les mercenaires qui n’ont pas la culture OM, très peu pour lui.
Le football moderne ne l’intéressait pas des masses, à tel point qu’il n’a même pas regardé la finale du Mondial 98.
C’est d’ailleurs lui qui le premier a associé l’image de la mascotte immonde Footix pour assimiler les supporters en bois qui ont découvert le ballon un 12 juillet.
En fait, Depé rêve d’évasion et plus particulièrement d’Argentine. Son plus grand souhait, c’est de vivre avec les hinchas de Boca Juniors.
A 27 ans, il est toujours le même qu’au commencement: pas de piaule fixe, pas de permis, des fringues prêtées par des potes. Cependant, cette image de rebelle ne colle pas exactement avec la réalité. En effet, ses parents ont toujours été proches de leur fils, n’hésitant pas à lui payer un studio à La Plaine pendant une année, qu’il n’a jamais utilisé. Comble suprême pour celui qui aime écumer les rues pendant des heures et des heures : il envisage de passer son permis !
Dans son esprit, l’aventure MTP s’achèvera d’ici 2 ans avant de mettre les voiles. Après la 2e place de l’OM en championnat en 1999, les lendemains ne chantent pas.
Depé est de la partie lors du saccage de wagons de la RATP lors de PSG/OM et il participe activement au caillassage des voitures de Pirès et Dugarry.
A ce moment, l’OM est ridicule partout en France, enchaîne les défaites et fait marrer tout le monde. La pire saison olympienne depuis 15 ans, Depé ne la vivra pas. Il est retrouvé sans vie chez son pote Anton Coste le jour de l’ouverture de la saison face à Troyes, le 28 juillet 2000.
Le vide qu’il laisse dans le Virage Nord reste difficile à combler. Pour Anton Coste, « Il faut être conscient que des mecs comme ça, tu ne vas pas en rencontrer beaucoup dans ta vie. »

28 juillet 2000 : les joueurs de l’OM rendent hommage à Depé face au Virage Nord.


 


Depé a donc vécu de tous les excès et a été victime de sa ferveur dévorante, cet art de vivre à part entière. Précurseur, il reste toujours dans les mémoires comme le symbole ultime du supporter dévoué à son club et aux membres de son groupe.
Quinze ans après sa disparition, les MTP comptent plus de 3000 membres dans leurs rangs et ont réussi leur pari de devenir un groupe influent de la vie olympienne, « Je me suis toujours dit que, comme tous les héros, il ne vivrait pas jusqu’à 85 ans, confie Gari Greu. Comme toutes les icônes, il était extrême. J’ai toujours senti que c’était une flamme qui pouvait s’éteindre facilement. »  Celle de Depé s’est éteinte il y a 15 ans, mais elle reste vivace chez ceux qui ont suivi son sillon car il avait le feu sacré, celui qui fait faire des choses folles et démesurées. Lors de la minute de silence le 28 juillet 2000, la bâche des MTP a pris feu. Depé n’était pas du genre à partir sans sa bâche.